COLOMBE
RÉSUMÉ
C’est l’histoire d’une dissidence, la subversion d’une faim que l’on prend pour une maladie. Paola ne mange plus et sent un oiseau palpiter en son cœur, elle aimerait seulemet boire le ciel entier. Anorexie ou un type d’ascèse qui tenterait de rejoindre l’immense?
Elle dit porter sur la tête une invisible couronne et se veut semblable aux héroïnes antiques, fières et insoumises. Une Antigone rebelle aux médiocrités et compromissions. De quelles nourritures, vraiment, croit-on pouvoir la nourrir ?

NOTE D’INTENTION
Il serait réducteur de ne voir en Paola qu’une “anorexique” – d’ailleurs elle ne répond pas à sa typologie ordinaire. Il serait dommage de réduire son désir à une “maladie”: celui qui la tend vers le ciel et l’absolu, vers l’immense, n’est certes pas maladif (non plus qu’immature). Sans doute est-ce toute la question face à laquelle se retrouve confrontée mon héroïne, celle d’une certaine médicalisation de nos états d’âme, de notre tourment de Ciel, de notre aspiration à une vie suprieure. De la même manière, Paola ne “guérit” pas car il n’y a pas à guérir, je préfère évoquer une réconciliation.
Certes, son jeûne protestataire se retourne contre elle dans quelque chose qui ressemble à l’anorexie. Est-ce de n’avoir pas trouvé autour d’elle un cadre capable de prendre en charge son désir et l’empêcher de se retourner contre lui-même?
De la même manière, il n’y a pas eu la volonté de porter témoignage de ce “trouble de l’alimentation”. Je n’ai par exemple rencontré aucune “malade” dont j’aurais adapté l’expérience de la faim volontaire et ne me suis pas non plus documenté a priori sur cette question. Mon terrain d’exploration a été moi-même. Non que je sois anorexique ni un jeûneur, mais que signifie ce désir qui me prend, parfois, de ne vouloir rien avaler? Que signifie ce désir d’immense et d’envol qui m’habite? Que traduisent les moments de mélancolie que je ressens profondément – cette nostalgie de l’absolu ou blessure irrémédiable de l’âme? Comment s’arranger avec ce corps qui parfois nous encombre?
Paola est une adolescente, peut-être parce que cet âge “réclame” l’absolu, me semble-t-il, avec l’exigence de son désir neuf et de sa réflexion révoltée. Elle me semble essentiellement une disidente: en rupture avec un monde où le “ciel est vide”, avec un univers aplati, empâté et empêtré dans la matérialité, sans horizon vertical (pour oser cet oxymore), un monde aussi qui a permis la pire des horreurs et avec lequel on ne veut rien avoir à faire.
À la naissance du roman, ces forces et questionnements qui me hantent. Quelques images également: les Gnossiennes d’Érik Satie, le prénom Paola, mon goût des oiseaux, la figure d’Antigone, la toile de Magritte La grande famille, la planète à sauver… C’est la première phrase du roman que je me suis dite un jour d’hiver qui m’a ouvert la porte de cette histoire « Parfois je voudrais boire le ciel entier ».
Au fond, cela reste le même questionnement que dans Soleil, devant : ce qui m’intéresse dans l’écriture, c’est explorer cette question : comment se remettre de la blessure originelle de la perte de l’absolu, la perte de la complétude ? Comment s’arranger avec cela, ce désir et cette souffrance. Explorer nos ombres pour tendre vers la lumière. Je l’avais exploré au masculin, en “il”, dans les géographies extérieures surtout, l’”extime”; je l’explore ici au féminin, en “je”, dans les géographies intérieures, l’intime. « Being rather than beans » disait à Allan le sage, l’ “être plutôt que les haricots” ; avec Paola, l’être finit par se trouver parmi les haricots, “being among beans”.