LE JOUR EST AUSSI UNE COLÈRE BLANCHE
RÉSUMÉ
Il y a des tagueurs, des apprentis djihadistes, des skateurs, des slameurs, des clameurs, des potagistes, des prophètes, des calligraphes, des taulards, des laveurs de vitres. Tous à leur manière des révoltés, porteurs d’énergie pour vivre et sortir des enfermements. Un chant choral habité d’espoir – parfois fugace ou vain, parfois grandiose et magnifique. Ou comme une sédition tonique et poétique : chercher l’invention d’une langue neuve, parole pour exister et dire ce que portent les cœurs.
Finaliste du Prix Littér’Halles de Decize (Bourgogne) 2019.

Écho de mon précédent roman La blancheur des étoiles (Luce Wilquin, 2014), on retrouve dans ce recueil des personnages qui y rôdaient, notamment les nouvelles Les loups et les agneaux, Les rondes de Laszlo K, Djihad pour tous, Le blues des losers, Le casse de Lukasz qui ont un lien direct avec le roman. Les autres nouvelles en sont des prolongements, font se recroiser les personnages, proposent des échos thématiques ou entretiennent toute une série de connexions internes.
Les loups et les agneaux : c’est un gang des grapheurs, ceux qui donnent au recueil son titre. Des moutons noirs ou plutôt des loups qui hululent et génèrent de l’inquiétude dans la ville ; mais ils la font vibrer aussi d’élans poétiques.
Les rondes de Laszlo K : Laszlo, le chevalier et motard fou de La blancheur des étoiles, grapheur et amoureux éconduit de Serena (la protagoniste du roman). Sa guerre absurde contre la ville entière conserve toujours pour moi sa part d’énigme.
Djihad pour tous : ces jeunes qui rejoignent la Syrie et s’en vont pour le Djihadistan parce qu’ils ont eu à rêver une pureté imaginaire. Ce qui me frappe avec Daech, c’est la question du récit qui, dans le vide de sens ambiant et l’absence de grande histoire qui fasse rêver, propose une grande utopie, celle d’un Califat fantasmé étendu à l’univers entier, avec un désir, une ambition, une raison de vivre et de se battre. Mais on peut être un héros glorieux pour défendre son histoire amour.
Slam d’islam : un texte de pure révolte suite aux attentats de Paris, Bruxelles, Nice ou ailleurs perpétrés par Daech. Une volée de bois vert contre ceux qui dénaturent le sacré. Le slam parce que, proche du rap et du hip hop, il est chant de la rue et de la place publique. Le QR code permettra, via GSM, d’écouter sur le site de l’auteur le texte mis en musique.
La main de Fatima : la question du voile et comment la calligraphie (et sa dimension spirituelle) peut sauver de la superstition. La question d’être “un bon musulman” aussi : manifester à tous sa juste dévotion vis-à-vis des prescrits sociaux (dans cette dimension sociale de la religion qui ne se soucie guère, au fond, de l’intériorité).
Le petit laveur de vitres : un poète qui n’écrit pas de poèmes mais résiste aux Grands Réquisiteurs. Son arme : le sourire et la légèreté.
Au Mont des Arts : des skateurs faisant de la ville leur terrain de jeux. Ils tournoient et dansent sur leurs planches à roulettes dans une révolte soft et musicale.
Le blues des losers : une rêverie mélancolique sur une certaine jeunesse qui ne trouve pas sa place ou ses marques dans le monde.
Flower power again : inspiré des faits réels de l’Agrocité de Colombes (Hauts-de-Seine), l’initiative citoyenne de “potagistes” qui créent de la verdure et du lien social au cœur de la ville et du béton.
Markus le Tzar : une sorte de prophète qui invite à s’extraire des caves et se retrouver soi-même comme ensemble. Mais qui peut l’entendre ?
Suzan : une romantique ou idéaliste un peu naïve à espérer que la poésie puisse changer le monde ; elle clame des textes dans les parcs dans une démarche citoyenne afin de se réapproprier la ville.
Le casse de Lukasz : à la fin de La blancheur des étoiles, Serena a aimé et eu un enfant d’un homme en prison auquel elle s’était mise à écrire. C’est savoir ici pourquoi ce Lukasz était derrière les barreaux. L’amour, lui aussi, l’a libéré.
Plusieurs personnages (Laszlo, Suzan, Lukasz, Zoé, le Tzar, Zakaria…) ont un “z” dans leur nom. Comme une fêlure en eux, une fragilité et force à la fois qui les pousse à la révolte, à chercher à vivre plus proches d’eux-mêmes, ou à éclairer le monde – “Bienheureux les fêlés car ils laisseront passer la lumière” a pu dire Michel Audiard. Il paraît qu’en Chine on fabrique des tasses en porcelaine d’une grande finesse (le kintsugi). Quand une tasse se casse, on ne jette pas les débris, on recolle délicatement chaque morceau avec de l’or fin. Si bien que plus une tasse se casse et plus on la répare, plus elle prend de la valeur. Ainsi on trouve encore aujourd’hui de très vieilles tasses recollées de partout avec l’or fin et celles-ci ont une très grande valeur, vendues comme pièces uniques à de riches collectionneurs…

NOTE D’INTENTION
Au moment de terminer mon précédent roman, La blancheur des étoiles, j’éprouvais quelque frustration à voir le destin d’un de ses protagonistes, le chevalier/motard fou Laszlo K, si vite achevé ; du moins l’écho de son vacarme me restait-il dans la tête. Et puis il avait une bande – des loups ou moutons noirs – avec laquelle il graphait les murs de la ville. C’est d’eux que je suis reparti.
Dans ce roman de 2014, la question djihadiste était présente également; les attentats de Paris et de Bruxelles ont justifié davantage de ne pas se taire.
Alors, parmi ces douze nouvelles urbaines du recueil, d’autres personnages secondaires du roman sont venus se retrouver et aussi bien s’entrecroiser. Et, de texte en nouvelles, ce sont des connexions internes, des rappels thématiques, comme des échos musicaux.
Le climat général du recueil ou sa thématique d’ensemble est certainement la révolte, avec son énergie de colère comme force de mort ou de vie, son attitude frondeuse éprise de liberté. La nouvelle se prête bien à la révolte par son caractère bref, sa tension, son énergie resserrée. L’appellation « nouvelles » me semble d’ailleurs ici comme rafraîchie. Souvent moroses, voire mornes – pareilles aux infos du soir ou aux faits divers des journaux –, ces textes-ci sont davantage des cris et des chants, des appels avec des focalisations diverses et des approches variées – parfois avec une dimension pamphlétaire ou de manifeste : car la colère n’est pas vide et creuse, elle revendique et cherche, elle est emplie de haut désir. Et si la nouvelle peut se définir selon la “théorie du faucon” (un récit où circule un objet qui, petit à petit, perd de sa substance, pour n’être plus à la fin qu’une carcasse, un déchet), l’on peut voir en la colère du recueil cet objet qui peu à peu perd sa négativité pour se transformer et s’élever en seule force de vie.
Les protagonistes sont à leur manière des poètes : ils cherchent l’invention d’une langue nouvelle, une parole pour exister et dire ce qu’ils portent au cœur. Toujours derrière, une immense envie de vivre, intense, haute et claire – avec la joie comme force de résistance. Ou comme un appel à la sédition poétique puisque la poésie peut, sinon sauver le monde, du moins contribuer à lui donner un souffle neuf.
Ainsi du titre, assez mystérieux pour moi et que je trouve très beau, qui est la reprise d’un graffiti anonyme quelque part sur un mur de Bruxelles, je trouve qu’il fait souffler dans son coin de ville et sa rue un vent bienfaisant, un élan tonifiant.