Écho de mon précédent roman La blancheur des étoiles (Luce Wilquin, 2014), on retrouve dans ce recueil des personnages qui y rôdaient, notamment les nouvelles Les loups et les agneaux, Les rondes de Laszlo K, Djihad pour tous, Le blues des losers, Le casse de Lukasz qui ont un lien direct avec le roman. Les autres nouvelles en sont des prolongements, font se recroiser les personnages, proposent des échos thématiques ou entretiennent toute une série de connexions internes.
Les loups et les agneaux : c’est un gang des grapheurs, ceux qui donnent au recueil son titre. Des moutons noirs ou plutôt des loups qui hululent et génèrent de l’inquiétude dans la ville ; mais ils la font vibrer aussi d’élans poétiques.
Les rondes de Laszlo K : Laszlo, le chevalier et motard fou de La blancheur des étoiles, grapheur et amoureux éconduit de Serena (la protagoniste du roman). Sa guerre absurde contre la ville entière conserve toujours pour moi sa part d’énigme.
Djihad pour tous : ces jeunes qui rejoignent la Syrie et s’en vont pour le Djihadistan parce qu’ils ont eu à rêver une pureté imaginaire. Ce qui me frappe avec Daech, c’est la question du récit qui, dans le vide de sens ambiant et l’absence de grande histoire qui fasse rêver, propose une grande utopie, celle d’un Califat fantasmé étendu à l’univers entier, avec un désir, une ambition, une raison de vivre et de se battre. Mais on peut être un héros glorieux pour défendre son histoire amour.
Slam d’islam : un texte de pure révolte suite aux attentats de Paris, Bruxelles, Nice ou ailleurs perpétrés par Daech. Une volée de bois vert contre ceux qui dénaturent le sacré. Le slam parce que, proche du rap et du hip hop, il est chant de la rue et de la place publique. Le QR code permettra, via GSM, d’écouter sur le site de l’auteur le texte mis en musique.
La main de Fatima : la question du voile et comment la calligraphie (et sa dimension spirituelle) peut sauver de la superstition. La question d’être “un bon musulman” aussi : manifester à tous sa juste dévotion vis-à-vis des prescrits sociaux (dans cette dimension sociale de la religion qui ne se soucie guère, au fond, de l’intériorité).
Le petit laveur de vitres : un poète qui n’écrit pas de poèmes mais résiste aux Grands Réquisiteurs. Son arme : le sourire et la légèreté.
Au Mont des Arts : des skateurs faisant de la ville leur terrain de jeux. Ils tournoient et dansent sur leurs planches à roulettes dans une révolte soft et musicale.
Le blues des losers : une rêverie mélancolique sur une certaine jeunesse qui ne trouve pas sa place ou ses marques dans le monde.
Flower power again : inspiré des faits réels de l’Agrocité de Colombes (Hauts-de-Seine), l’initiative citoyenne de “potagistes” qui créent de la verdure et du lien social au cœur de la ville et du béton.
Markus le Tzar : une sorte de prophète qui invite à s’extraire des caves et se retrouver soi-même comme ensemble. Mais qui peut l’entendre ?
Suzan : une romantique ou idéaliste un peu naïve à espérer que la poésie puisse changer le monde ; elle clame des textes dans les parcs dans une démarche citoyenne afin de se réapproprier la ville.
Le casse de Lukasz : à la fin de La blancheur des étoiles, Serena a aimé et eu un enfant d’un homme en prison auquel elle s’était mise à écrire. C’est savoir ici pourquoi ce Lukasz était derrière les barreaux. L’amour, lui aussi, l’a libéré.
Plusieurs personnages (Laszlo, Suzan, Lukasz, Zoé, le Tzar, Zakaria…) ont un “z” dans leur nom. Comme une fêlure en eux, une fragilité et force à la fois qui les pousse à la révolte, à chercher à vivre plus proches d’eux-mêmes, ou à éclairer le monde – “Bienheureux les fêlés car ils laisseront passer la lumière” a pu dire Michel Audiard. Il paraît qu’en Chine on fabrique des tasses en porcelaine d’une grande finesse (le kintsugi). Quand une tasse se casse, on ne jette pas les débris, on recolle délicatement chaque morceau avec de l’or fin. Si bien que plus une tasse se casse et plus on la répare, plus elle prend de la valeur. Ainsi on trouve encore aujourd’hui de très vieilles tasses recollées de partout avec l’or fin et celles-ci ont une très grande valeur, vendues comme pièces uniques à de riches collectionneurs…