Il y a eu le personnage féminin d’un texte antérieur, sorte de proto-roman matriciel: une jeune fille y attend le retour de son fiancé. J’ai vite perçu sa parenté avec Pénélope et naturellement son fiancé est devenu Ulysse. Or celui-ci revient et lui conte sa course insensée après le soleil. C’est elle que j’ai extraite, développée et transformée.
Puis, le personnage d’Ulysse m’a embarqué. Il est le héros du retour chez soi, à la maison. Je l’ai retraduit en termes de retour au-dedans de soi, au royaume intérieur, retrouver les origines de son être. Ulysse est le héros de la mémoire, il est celui qui n’oublie pas. Mon personnage est celui qui ne renonce pas à la mémoire de l’immense qui l’habite, qui a la nostalgie de la plénitude. Ulysse est celui qui comprend qu’il ne peut se passer des dieux. Allan, mon personnage, est celui qui cherche une Sagesse ou ce que l’on pourrait nommer le Divin. Mais, tout comme pour Ulysse, cela ne va pas sans souffrance ni dépossession, parce qu’il vit aussi l’expérience de toutes les limites.
La limite, pour Ulysse, celle de son univers, est la Méditerranée. Allan, lui, réalise presque la révolution du globe. C’est un tour du monde, mais il n’est pas un touriste ni un explorateur. Allan tient davantage du clochard céleste à la Jack Kerouac, ou du marcheur un peu allumé à la surface de la Terre: une quête du soleil, le remonter à sa source, semblable à l’éblouissement au cœur de soi.
Ce qui m’intéresse dans l’écriture, c’est explorer cette question : comment se remettre de la blessure originelle de la perte de l’absolu, la perte de la complétude ? Comment s’arranger avec cela, ce désir et cette souffrance ? Comme pour Ulysse : comment quitter l’exil et retrouver sa Patrie ?
Mais je voulais que ce soit aussi une grande aventure, et j’ai aimé que le personnage s’inscrive tout à fait sur les traces du fameux guerrier grec. Le lecteur peut s’amuser à identifier les Lotophages ou les Cyclopes, Les Sirènes ou le pays des Morts, Circé, Calypso ou les Bœufs d’Hélios…