La question du suicide des jeunes m’a toujours interpellé; question qui, au-delà des jeunes et selon Camus – on le sait -, est le seul “problème philosophique vraiment sérieux”, le sens de la vie étant la plus “pressante” des questions (Le mythe de Sisyphe). En son temps, j’avais été bouleversé par un reportage télévisé où une fille-mère privée de son enfant, forcée ensuite d’avorter d’un deuxième, avait voulu mourir. Trois tentatives de suicide; elle a fini par rencontrer son amour en écrivant à un prisonnier.
C’est le fil ténu de ce bref témoignage que j’ai voulu réinventer, et tenter de comprendre cette mort que l’on peut parfois chercher aussi fortement que l’amour.
La grossesse, cette métamorphose qu’un homme ne connaîtra jamais. Écrire, c’est comme chercher au fond de son ventre une force inconnue et en transmettre la vibration irradiante, une sorte d’acte d’amour. Mais la vie que l’on avorte, cette blessure me fait frémir.
À la même période, j’écrivais une nouvelle où un jeune rebelle, presque un skinhead, tournait sans fin dans la ville sur une bécane, de façon absurde, éructant le vacarme et la violence. J’ai gardé l’image d’un gars à moto qui circule sans répit en crachant sa colère parmi les rues et avenues. Il porte des tatouages sur les bras pareils à des faucilles, une sorte de chevalier qui se bat de façon éperdue contre des moulins à vent. Une image dont j’ignore la raison, et j’ai voulu entrer dans son tapage afin de parvenir à la comprendre.
Longtemps aussi, il y a eu ce graffiti à Bruxelles: “la bave des crapauds n’atteint pas la blancheur des étoiles”. C’était peint sur le béton d’un mur de soutènement, il avait la fulgurance des verticalités. Le grapheur a dévoyé la formule originelle qui parle non de la blancheur des étoiles mais de la blanche colombe. La phrase gagnait en force poétique et profondeur de champ, ouvrant sur un plus vaste désir que la seule justification de sa personnelle pureté. Cette phrase m’a guidé dans l‘écriture, de bout en bout. Elle est aujourd’hui presqu’effacée par la corrosion des pluies et du temps, recouverte aussi par un autre graffiti très coloré, figurant la tête du célèbre chat Tom (cf. Tom & Jerry).
Enfin il y a les oiseaux, je ne peux vivre sans eux. Ces martinets de noire lumière, leurs stridences enivrantes, ils tracent dans la ville comme d’autres graffitis volatils, instillent un zèle palpitant.
Pour rester avec eux, les oiseaux, écrire La blancheur des étoiles, c’était explorer le ventre autrement que par la faim et le jeûne, tel que dans Colombe. Y trouver le désir d’enfant, le désir d’amour – une complétude.