Les oiseaux sont l’expression de la grâce. Tandis que les humains, sans répit, toujours cherchent cet envol et les cieux, implorent cette grâce d’être emportés ailleurs, hors des pesanteurs, hors de cette matière dans laquelle ils rechutent telle une funeste fatalité et dont ils aspirent tant à être sauvés.
La grâce, c’est ce qui va nous sauver de cette chute toujours recommencée dans les pesanteurs.
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Le sentiment d’enchantement n’arrive-t-il pas lorsque nous avons un sentiment d’unité avec le vivant ? Peut-être est-ce le véritable rôle de la littérature, supprimer le sentiment de séparation avec les autres, le monde, la nature, chercher ce sentiment d’unité, comme mettre fin à un exil… Cette soif d’absolu : le grand désir que tout à jamais soit réconcilié. La littérature, même à évoquer l’horreur et la haine, doit être du côté de la vie, de l’amour, de la célébration.
L’émerveillement est lié à la fragilité, à la vulnérabilité, la volatilité, à l’éphémère des choses : à la conscience de l’impermanence.
Il s’oppose dépasse le désir : celui-ci pousse en avant, cherche la vitesse, la possession ou captation, la prédation, la jouissance effrénée, c’est l’avidité du Moi, une fermeture de la conscience ; l’émerveillement exige l’ici et maintenant, la dessaisie dans l’instant et la lenteur, voire l’immobilité d’être là. Il suppose une disponibilité : c’est la suspension du Moi dans la contemplation, l’ouverture de la conscience.
L’émerveillement nous situe encore devant le spectacle, l’image, l’événement. Plus loin, il y a l’adoration et le « sentiment océanique » : l’intégration de soi dans le spectacle, l’image, l’événement, ce sentiment d’unité et de complétude. L’adoration est l’accomplissement de l’émerveillement. C’est un état d’être, l’entrée dans une conscience qui, à tout instant, pour toute chose ou tout être, perçoit la beauté, établit dans une qualité de présence. Adorer, c’est être présent à ce qui est, l’éternité. L’émerveillement prépare au domaine mystique. Il peut se travailler par l’habitude de chercher et voir l’ouvert ; le sentiment océanique, lui, arrive par grâce, c’est-à-dire gratuitement, sans cause.
« Un seul péché sur terre les contient tous : ce qui sépare l’homme de sa faculté d’adorer » – Christiane Singer, Une passion.
Proposer de l’émerveillement et sa joie, je le vois aussi comme une résistance contre l’ère présente de la raillerie, du cynisme, du sarcasme, de la dérision amère, de l’invective haineuse, de la moquerie caustique et acide. Contre la folie.
Admirer plutôt que conspuer. S’étonner d’abord pour que les choses changent, peut-être. S’étonner contre la pensée formatée et établie. Pour résister. Pour subvertir, lutter contre l’usure de l’habitude. Pour entretenir ou faire naître la flamme, le feu d’enthousiasme.
En définitive, l’émerveillement est politique : un mode de rapport au monde, respectueux et amical, collaboratif et prenant soin (ou préservant).